Présent dans l’hémicycle cet après midi pour un moment historique : le président Zelynski a souhaité s’adresser au Parlement français depuis Kiev. Comme l’ont rappelé les Présidents Larcher et Ferrand, le Sénat et l’Assemblee nationale se tiennent aux côtés du Président ukrainien et de son peuple face à la guerre initiée par V. Poutine.
C’est unis que nous réussirons à stopper la folie meurtrière qui se déroule aux portes de l’Europe.
MESSAGE DE M. VOLODYMYR ZELENSKY, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE D’UKRAINE
M. Gérard Larcher, Président du Sénat . – (S‘adressant à M. le Président de l’Ukraine en visioconférence, à Mmes et MM. les sénateurs présents dans l’hémicycle, à Mmes et MM. les députés présents dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale) Monsieur le Président d’Ukraine, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, mesdames et messieurs les députés et sénateurs, mesdames et messieurs les représentants du corps diplomatique, le moment est solennel, les circonstances inédites.
Pour la première fois de notre histoire parlementaire, nous accueillons le Président d’un pays en guerre, d’un pays à la capitale assiégée, sur lequel les frappes redoublent d’intensité en ce moment même.
Car l’inadmissible est en train de se produire : la guerre en Europe, aux portes de l’Union européenne ; la guerre en Ukraine.
Votre peuple, monsieur le Président d’Ukraine, force l’admiration.
Alors qu’il est la cible d’une agression que rien ne peut justifier ; alors qu’il est la victime d’un appétit de conquêtes territoriales qui fait voler en éclat toutes les règles de la communauté internationale ; alors qu’il est la proie de la folie meurtrière des autorités russes, le peuple ukrainien se bat. Les Ukrainiens, civils et militaires, résistent jusqu’à l’héroïsme, pour défendre la souveraineté de leur pays et leur liberté, aux yeux de l’Europe et du monde.
Je souhaiterais, mes chers collègues parlementaires, avec les membres du Conseil de Paris qui nous écoutent, que nous rendions hommage au courage du peuple ukrainien, et de vous-même, monsieur le Président. (Mmes et MM. les parlementaires se lèvent et applaudissent longuement.)
Mesdames et messieurs, le temps n’est pas seulement à l’émotion. Il est avant tout à l’action.
Vous nous direz dans un instant, monsieur le Président d’Ukraine, ce que vous attendez de la France.
Permettez-moi de vous remercier d’avoir fait le choix, en pleine tourmente, de vous adresser aux parlements des grandes démocraties, et singulièrement au Parlement français, pour transmettre le témoignage de l’Ukraine et de vos attentes. Ne doutez pas de notre soutien, pour aujourd’hui et pour l’avenir !
Votre respect de l’institution parlementaire distingue votre pays de ses adversaires. Il fait sens : dans son combat, l’Ukraine défend aussi nos valeurs, celles de la démocratie, de l’humanisme, de la liberté, de la civilisation européenne.
Oui, parce que l’Ukraine appartient à la famille européenne.
M. Richard Ferrand, Président de l’Assemblée nationale . – (Applaudissements dans les deux hémicycles)Monsieur le président d’Ukraine, c’est un honneur pour nous de vous accueillir au sein de l’Assemblée nationale. Nous connaissons votre attachement à la France, où vous avez effectué votre premier déplacement officiel à l’étranger après votre élection comme président de l’Ukraine. Vous aviez ainsi engagé dès 2019 un dialogue fructueux avec la France.
Je tiens également à saluer la présence parmi nous de M. l’ambassadeur d’Ukraine en France, M. Vadym Omelchenko. (Mmes et MM. les parlementaires se lèvent et applaudissent.)
Depuis maintenant près d’un mois de guerre, les Ukrainiens se battent et résistent de façon héroïque à l’agression militaire russe.
Soyez sûr de la solidarité et de l’entière mobilisation de la représentation nationale. Nous continuerons de veiller à ce que tout soit mis en oeuvre pour vous porter assistance, qu’il s’agisse de l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’agresseur ou du soutien humanitaire aux Ukrainiens comme aux réfugiés.
Nous avons tous vu ces images choquantes de villes ukrainiennes bombardées et assiégées. La France condamne ces bombardements indiscriminés visant les populations civiles. Cela doit s’arrêter immédiatement et nous appelons la Russie à se conformer au droit international humanitaire.
Dans ces circonstances tragiques, le peuple ukrainien fait preuve d’une résistance admirable. Je tiens à saluer son courage et celui des autorités ukrainiennes. Sachez que nous demeurons à vos côtés.
M. Volodymyr Zelensky, Président de la République d’Ukraine . – (Applaudissements nourris dans les deux hémicycles) Je suis reconnaissant d’avoir l’honneur de m’adresser à vous aujourd’hui. Vous savez très bien ce qui se passe en Ukraine, et qui est coupable ; ceux qui se cachent la tête dans le sable et espèrent trouver de l’argent en Russie le savent. Je m’adresse à vous, qui êtes des gens honnêtes, rationnels et audacieux, et je vous pose une question : comment arrêter cette guerre, comment instaurer la paix en Ukraine ? La plupart des réponses sont dans vos mains.
Le 9 mars, des bombes russes ont été lancées sur un hôpital pédiatrique et la maternité de notre ville de Marioupol. Une ville paisible du sud de l’Ukraine – paisible jusqu’à ce que les troupes russes la prennent dans un siège brutal digne du Moyen-Âge et commencent à tuer. Dans cette maternité bombardée, il y avait des femmes qui se préparaient à accoucher. La plupart ont survécu, mais certaines ont été gravement blessées ; l’une d’elles a dû se faire amputer du pied. Une autre a perdu son bébé après avoir eu le bassin fracturé. Elle demandait aux médecins qui essayaient de la sauver de la laisser mourir, car elle ne voyait plus de raison de vivre. Elle est finalement décédée.
En Europe, en 2022, des centaines de millions de personnes ne pouvaient imaginer que le monde puisse être détruit. Je vous demande d’observer une minute de silence à la mémoire des Ukrainiens victimes de l’invasion russe. (Mmes et MM. les parlementaires se lèvent et observent un moment de recueillement.)
Après des semaines d’invasion russe, Marioupol et d’autres villes ukrainiennes évoquent les ruines de Verdun. Comme sur les photos de la Première Guerre mondiale que chacun a vues. L’armée russe ne distingue pas ce qu’elle cible : elle détruit tout, quartiers résidentiels, hôpitaux, écoles, universités, entrepôts de nourriture et de médicaments. Les Russes ne prennent pas en compte le concept de crime de guerre ni les obligations de compassion.
L’armée russe a apporté la terreur sur le sol ukrainien. Vous avez toutes les informations sur les femmes violées par les militaires russes, sur les réfugiés tués sur les routes, sur les journalistes ciblés en dépit de leur statut, sur nos anciens qui ont survécu à l’Holocauste et se terrent aujourd’hui dans les abris anti-bombes.
L’Europe n’a pas connu ce qui se passe en Ukraine depuis quatre-vingts ans.
En 2019, lorsque j’ai été élu président, il y avait déjà des négociations avec la Russie, en format Normandie. Cela devait mettre fin à la guerre dans le Donbass, qui dure depuis huit ans. Quatre États, l’Ukraine, la Russie, l’Allemagne et la France ont participé au format Normandie, représentant à eux quatre les positions du monde entier.
L’un des participants voulait retarder le processus, le perturber, mais il était important que tous restent à la table des discussions.
Quand nous avons obtenu des résultats, quand nous avons réussi à libérer des prisonniers en 2019, ce fut une bouffée d’air frais, une lueur d’espoir, nous laissant croire que les dirigeants russes pouvaient être persuadés de choisir la paix. Mais le 24 février, le concept de dialogue a été mis à bas, la longue relation européenne avec la Russie écrasée par l’artillerie russe ; tout a été brûlé après les tirs de missiles russes.
On n’a pas trouvé de vérité dans les bureaux ; on est obligé de chercher la vérité sur le champ de bataille.
Que nous reste-t-il ? Nos valeurs, l’unité, la détermination à défendre notre liberté commune, pour Kiev, mais aussi pour Paris, Berlin, Varsovie, Madrid, Rome, Bruxelles ou Bratislava.
Les bouffées d’air frais ne nous aideront pas. Nous devons agir ensemble, faire pression pour pousser la Russie à chercher la paix.
Depuis le 24 février, le peuple ukrainien s’est uni. Il n’a plus de représentants de gauche ou de droite, de coalition ou d’opposition : il s’est rassemblé pour la paix, pour la protection de son pays.
Nous sommes reconnaissants envers la France qui nous aide, envers le Président Macron qui a fait preuve d’un vrai leadership. Nous sommes en contact permanent avec lui et nous coordonnons nos pas.
Votre pays aime et protège la vérité. Vous savez ce que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Chacun de ces termes est important, les Ukrainiens le savent. Nous attendons de la France, de son leadership, qu’elle fasse en sorte que la Russie cherche la paix, pour mettre fin à cette guerre contre la liberté, l’égalité et la fraternité, contre tout ce qui a rendu l’Europe unie, libre et diverse.
Nous attendons de la France, de son leadership, la restauration de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Nous pouvons le faire ensemble. Si certains parmi vous doutent, qu’ils sachent que votre peuple, comme tous les autres peuples de l’Europe, en est sûr.
Durant la présidence française de l’Union européenne, il y aura une décision mûrie sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, une décision historique à un moment historique, comme cela a toujours été le cas dans l’histoire du peuple français.
Demain, cela fera un mois que les Ukrainiens se battent de manière héroïque pour leur vie et pour leur liberté, contre des forces russes supérieures en nombre. Nous avons besoin de plus d’aide et de plus de soutien – la liberté doit être bien armée ! Nous avons besoin de chars, d’armes antichars, d’avions de combat, de défenses antiaériennes. Vous pouvez nous aider.
Pour que la liberté ne perde pas, il faut sanctionner l’agresseur. Les entreprises françaises, Renault, Auchan ou Leroy Merlin, doivent quitter le marché russe. Ils doivent arrêter de sponsoriser la machine de guerre russe, de financer le meurtre de femmes et d’enfants, les viols. Les valeurs sont plus précieuses que les bénéfices.
Nous devons penser à l’avenir, à la façon dont nous vivrons après la guerre. Il faut des garanties – la garantie que la sécurité sera inébranlable, que les guerres ne seront plus possibles dans ce monde. Créons un nouveau système de sécurité, où la France aura un rôle de premier plan, pour qu’on n’ait plus à mourir afin que les autres vivent, pour qu’on ne dise pas adieu à la vie sous les bombes, mais quand son heure est venue. Nous devons vivre dans le respect et pouvoir nous dire au revoir dignement, comme la France (M. le Président d’Ukraine esquisse un sourire) a dit au revoir à Belmondo.
Merci à la France et gloire à l’Ukraine ! (Mmes et MM. les parlementaires se lèvent et applaudissent longuement.)
M. le président. – Merci monsieur le Président.